Saint-Valentin, une histoire d’amour ?

La Saint-Valentin et sur cette vague, le thème de l’amour. Amour d’un jour, amour de toujours, l’amour ne s’achète pas mais on peut le louer.

Pourtant, c’est un peu l’inverse que l’on prétend en ces 14 février annuels. L’an passé, nous avions fait un point rapide sur la Saint-valentin en elle-même et sur ses origines. Ça se passait ici.

Alors revenons sur ce qu’est l’amour, le pourquoi du comment, à travers l’Histoire et comment nos prédécesseurs ont pensé l’amour. Car nous sommes nombreux à parler d’amour mais c’est un terme si complexe que nous ignorons bien souvent de quoi il s’agit. C’est d’ailleurs pour l’une des questions les plus posées en amour est : suis-je vraiment amoureux ?

Preuve s’il en fallait une que des notions comme l’amour posent de nombreux problèmes. Essayons donc de voir ce qu’est l’amour, s’il en existe une ou des formes et comment tout cela se constitue, en fonction de quels éléments. Car, qui plus est, on ne pense pas l’amour de la même manière en fonction des époques, ce qui peut nous éclairer sur notre propre perception du phénomène.

L’amour : un mot, un sentiment, des définitions


Sans trop s’embêter de dictionnaire, l’amour c’est tout simplement le fait d’aimer. Jusque là, je pense que tout le monde sera à peu de choses près d’accord. Voilà messieurs, dames, c’était sympa de faire cet article avec vous, merci de partager et de contribuer au site, au revoir et à dans deux semaines.

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Non. Le mot amour vient du latin amor qui signifie sans surprise : amour, attachement, passion, désir. En revanche, cela explique plusieurs choses à ce terme : il se compose de désir, d’attachement mais également de passion. C’est au travers de ces différents termes que nous allons pouvoir éclaircir un peu les nuances de l’amour.

On peut entendre le mot passion au sens premier du terme qui est celui de souffrir. Si on devait donc chercher à définir l’amour, ce serait ainsi un mélange de désir et d’attachement avec une part de souffrance.

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Exemple d’amour grec pédéraste mettant en scène un éraste ainsi qu’un éromène. Coupe attique à figure rouge, V°siècle av. J.C, Musée du Louvre.

Modulo donc les divers moments de l’amour, on peut légitimement estimer qu’il y a autant de formes d’amour qu’on rencontre de mélanges en diverses proportions de désir, d’attachement et de souffrances.

Partant de là, on trouve en effet des types d’amour variés dont l’amour filial, l’amour passion, l’amour platonique, l’amour de Dieu, l’amour pédéraste, l’amour saphique, l’amour fusionnel, l’amour narcissique, etc.

Partant de l’attachement, on peut différencier les amours en fonction de vers qui il est tourné, de qui est le sujet de l’attachement : un être du même sexe, une entité divine ou désincarnée, soi-même.

C’est également là que s’intègre la composante du désir. Est-il présent, sous quels aspects, dans quelles proportions, est-il charnel ou désincarnée ? De la même manière s’intègre la notion de passion.

En somme, il n’y a que des amours modulables, une sorte de service à la carte dont je vous propose après cette entrée de tester les différents plats de résistance.

Les amours, de l’antiquité à nos jours : petit tour rapide réflexif


N’en déplaise à certains, je traiterai ici de certaines formes d’amour dont l’amour homosexuel.

Pour rappel, non l’homosexualité n’a pas tué les grecs pas plus qu’il n’a provoqué la chute de l’empire romain. Non, ce n’est pas contre nature ou quoi que ce soit d’autre. Non, Sodome et Gomorrhe n’ont pas été détruites pour cela.

L’amour a-t-il un sexe et un genre ?


Avant l’apparition des morales restrictives des monothéismes, l’amour n’a pas d’inclination particulière.

On notera l’amour d’Achille pour le jeune Patrocle dans les normes de la pédérastie. On pensera à Socrate refusant les avances tout autant que les éloges dans le Banquet de Platon.

On évoquera les poèmes saphiques, les Héroïdes (texte disponible ici), ou encore l’Art d’aimer d’Ovide.

Ce que tout cela a en commun, c’est la recherche d’une universalité sur la question de l’amour. Que ce soit Achille envers Patrocle ou Ovide qui traite des moyens de séduire, quel point commun demeure ?

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« Courage donc ! Présente-toi au combat avec la certitude de vaincre; et, sur mille femmes, une à peine pourra te résister.  » A travers des quelques vers d’Ovide, c’est l’union du combat et de la séduction qui n’a pas été sans influencer les siècles suivants. Il est donc tout logique que l’on retrouve encore une fois cette union dans cette image en plus de d’autres références.

L’amour, dans la conception antique, est quelque chose à deux niveaux.


Que l’un soit physique et le second sera spirituel. Le premier est vulgaire ? Le second devient céleste.

L’un est pérenne et conduit à la recherche de l’honneur, pousse au contentement, à la satisfaction morale, à une jouissance de l’intellect et des valeurs.

L’autre sera une compensation vulgaire des besoins du corps et provoquera inconstance et quête du plaisir.

Empreint de la conception platonique de l’amour, ce dernier ne se résume pourtant pas à cela. Par les questionnements de Socrate, par les comparaisons à la chasse d’Ovide, on comprend que l’amour est la recherche d’un élément manquant à un être ; élément qu’il recherche pour se satisfaire. Mais satisfaire quoi donc exactement ?

C’est là la question la plus complexe et chaque être propose une réponse qui lui convient. Toutefois, l’amour en tant que quête provoque l’interrogation du bon et du mauvais, du beau et du laid.

Si l’amour n’est pas la recherche du beau et du bon, alors, il ne peut y avoir de désir. Inversement, il n’est pas l’opposé de ces valeurs, pas plus qu’il ne les rejette. Il faudrait voir l’amour loin des questions de but et d’idéal. Ce qui revient à concevoir l’amour comme un moyen, un media au sens strict.

L’amour comme intercesseur.


L’amour, c’est donc l’intermédiaire, c’est l’intercesseur entre des valeurs contraires, entre des sentiments, entre des personnes.

C’est ce qui pousse Patrocle à se surpasser, à imiter la bravoure de son aîné. C’est ce qui permet aux soldats de pleurer leurs frères tombés lors de l’Iliade.

C’est ce qui explique ces premiers vers : « Chante, déesse, la colère d’Achille, le fils de Pélée ». Colère tournée vers Agamemnon pour avoir pris à Achille la captive troyenne Briséis. Colère envers lui-même ainsi qu’envers Hector et les troyens pour avoir provoqué la mort de Patrocle.

De tout cela, l’amour est fautif mais il exalte les sentiments et confère sa substance au récit. retour à la passion, à la souffrance, à la recherche du manque.

De la même manière, cette ambivalence des sentiments se retrouve dans les Héroïdes où les femmes de héros adressent leurs suppliques et racontent leur amour malheureux, combien le manque de l’être aimé est cruel.

Pareillement, l’amour adressé par Alcibiade à Socrate – bien que le discours soit double – permet d’avoir une idée des malheurs et des souffrances amoureuses.

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Malheurs et souffrances de l’amour ? Sous la forme du personnage de Cupidon, chacun peut y rejeter la ou les fautes de son amour. Car après tout, « L’amour c’est surfait ! » comme disent certains.

Désirs, passions, ce n’est qu’une émotion qui s’impose et qui est celle du manque. Une fois cela compris, il est possible de réaliser que ceci ne souffre d’aucune différence sur le sexe.

Non pas que les relations ne puissent être charnelles – la dernière partie de l’art d’aimer est d’ailleurs consacré aux ébats amoureux -.

Cependant, le but n’est pas uniquement la jouissance mais la création et l’entretien d’une intimité favorisant une bonne relation entre les amants.

C’est cette relation des amants qui permet d’ouvrir la porte sur l’amour au Moyen âge et surtout à l’amour tel que le présente la religion chrétienne principalement.

L’amour au moyen-âge, entre continuité et rupture.


Au-delà de l’aspect sacrement et avant de devenir un contrat lourd de conséquences, le mariage est ainsi vécu et souhaité comme un engagement des sentiments. Bien avant toute logique économique ou d’autorité et de gestion familiale, l’amour est idéalisée par le mariage et doit être l’officialisation des sentiments. C’est donc la continuité de l’Art d’aimer et de sa persistance amoureuse en quelque sorte.

Là où la fracture se fait sentir, c’est dans les règles que prend cet amour au coeur de l’idéologie chrétienne. La logique reproductrice vient gommer les éléments subversifs de l’antiquité, tel un Héraklès nettoyant les écuries d’Augias : sans finesse, sans subtilité, avec force et sans rien laisser.

On peut probablement voir ici une cause double du libertinage, cassant le code de l’amour des époques précédentes, vécût comme risible car trop restrictif. Le libertinage ne serait-il pas également comme une libération de l’aspect sexuel pour lui-même après trop de mise en retrait ?

Ainsi, à partir du moment où ce gommage s’effectue, c’est l’apparition d’un amour totalement désincarné – amor dei – et d’un amour sexué tout autant que désexualisé au possible. Non pas que cela n’existait pas dans l’antiquité – on pensera notamment aux vestales – mais cela n’avait pas atteint un tel niveau.

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Avec la feuille de vigne c’est tout de suite moins tendancieux et plus mignon ?

Bien qu’il existait déjà une dualité chair/spirituel, l’un et l’autre ne furent pas aussi exclusifs.

L’amour au Moyen âge, c’est un peu un jeu de rôle dans lequel il serait interdit de prendre du plaisir. Faut-il alors parler d’une approche castratrice de l’amour ? Ce n’est pas sans rappeler la castration des sexes masculins et la mise en place des feuilles de vignes à partir du XV° siècles dans l’art. A la poursuite de l’idée d’exclusion de l’aspect charnel…

Ce que l’on observe donc c’est un glissement de l’amour sous toutes ses formes vers un amour plus restreint et codifié, ce qui n’est pas sans rappeler le développement de l’amour courtois.

L’amour : de qui et pourquoi ?


Nous l’avons vu, dès le début, l’amour est le comblement d’un manque. Cependant, est-ce à dire que l’amour n’a été théorisé que sous un aspect égoïste ?

Est-ce que l’on recherche l’autre pour lui-même ou bien pour soi-même ? Est-ce qu’au travers de la recherche de l’amour, nous ne sommes en proie qu’à la recherche de notre propre complétion en tant qu’individu ? L’amour n’est-il finalement qu’une compensation ?

Tourné ainsi l’amour n’est alors ni très glorieux ni très reluisant. A l’instar d’un joueur solo dans un coopération, l’amour semble cristalliser rage et frustration. En exemple de cet égoïsme, érotomanie et narcissisme se posent.

L’amour est-il donc à ce point paradoxal ? A la fois recherche de l’autre et recherche de soi voir recherche pour soi, quelle place est alors laissée à l’autre ?

LEIBNIZ pose ainsi une réflexion intéressante : « Aimer, c’est trouver plaisir au bonheur d’autrui ».

Sous la plume de cet homme se dessine une sorte de réponse à tout cela. Au travers de la recherche du plaisir – preuve de l’égoïsme au sens propre – c’est le bonheur de l’autre que l’on poursuit.

Pourquoi et comment ? Est-ce une compensation pour l’autre et ce que moi j’en retire ? Est-ce une manière de fondre son égoïsme en un altruisme forcené ? En réalité, ce que LEIBNIZ écrit n’est pas très différent de ce que l’on trouvait déjà à l’antiquité.

Rappelons-nous l’éraste et l’éromène stimulés mutuellement et finalement, s’oubliant l’un l’autre. Souvenons-nous que, si l’Art d’aimer se compose d’un premier livre qui s’occupe de la chasse et de la séduction, les deux autres sont consacrés à la conversation de l’amant et tourne principalement autour de ce dernier : comment pourvoir à son bonheur, par le biais de tous les moyens qui s’offrent au couple.

En somme ?


En s’oubliant soi-même et en se tournant vers le bien de la personne (ou des personnes), on passe du physique au spirituel comme certains auteurs antiques le soulignent.

Des penseurs antiques aux religions, l’expression de la dualité amoureuse est conceptualisée comme une symbiose à atteindre.

Idéal du spirituel, recherche du bonheur pour l’autre, en dépassant les différentes approches, on peut synthétiser de manière presque universelle ainsi : l’amour est l’expression in fine d’un don de soi, voir d’un abandon de soi-même sans qu’il y ait pour autant de négation de l’être.

Pourtant, les problèmes relatifs à l’amour suffisent à souligner les difficiles perceptions ds sentiments et plus difficile encore, la conceptualisation de notre rapport à l’amour. Le caractère absolu que tendons à plaquer sur le phénomène amoureux devient un poids, une charge au travers de l’idée d’objectif ou de perfection à atteindre.

C’est peut-être d’ailleurs ce qui explique une partie du succès de la St-Valentin : à la place d’une envie, cela devient une obligation, une condition nécessaire à remplir si on souhaite affirmer que son amour est véritable, qu’il remplit bien les critères.

Comme bien souvent, définir, c’est aussi circoncire et enfermer, tout en constituant une nouvelle norme. Peut-être serait-il temps de replonger dans les différents sens du mot amour pour y trouver une manière individuelle et personnelle de donner du sens à ce phénomène délicieux.


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