Comment bien faire de l’Histoire (et d’autres sciences) : 5 conseils que j’aurais aimé avoir plus tôt !

Avec le recul sur mes études et ma pratique de la vulgarisation qui se consolide avec le temps, j’ai remarqué que certains outils réflexifs m’ont fait défaut lorsque je faisais mes études. En réalité, il s’avère même carrément que j’aurais aimé que l’on me donne quelques conseils à l’époque où j’étais étudiant. Bien sûr, il s’agit surtout d’outils pour améliorer sa pratique, mieux travailler et réfléchir. Cependant, le manque observé fut réel et je trouve ma pratique d’historien plus complète à l’heure actuelle que lorsque j’étais dans les études.

J’aurais également aimé avoir des conseils d’écriture également mais c’est encore une autre histoire.

Je me suis rendu compte que, même en ayant eu à cœur de faire de mon mieux, le temps et le développement personnel ont joué leur rôle. Pourquoi dès lors ne pas partager avec vous tout cela ? Retour sur expérience donc et mise à profit, pour aider et conseiller ceux qui s’intéressent à l’Histoire.

Améliorer sa pratique d'Historien

Bien que cela concerne principalement le domaine de la recherche en Histoire, certains conseils sont applicables aux sciences humaines en général. Chacun y trouvera donc son compte.

Il faudra prendre en compte également que certaines critiques que je peux formuler sur la pratique de l’Histoire ne visent pas à dénigrer les personnes mais uniquement leurs pratiques. De fait, certaines choses dans la recherche historique me posent problèmes d’un point de vue scientifique et méthodologique. Il s’agira d’y proposer des solutions et des alternatives qui peuvent en intéresser plus d’un.

Il ne s’agit donc pas d’un dénigrement de l’Histoire telle qu’elle peut être pratiquée. Il s’agit de son questionnement au travers d’un regard critique.

S’intéresser à la philosophie de l’Histoire.

Quand je lis des articles et des publications sur le domaine historique, je suis très souvent surpris des visions de l’Histoire mises en avant. Alors qu’il s’avère qu’elles ont déjà été battues en brèche – comme la vision hégélienne et fataliste et téléologique de l’Histoire -, elles continuent d’être développées. Pourquoi ?

Parce qu’il n’y a pas de recul sur celles-ci. Parce que bien souvent, la réflexion n’est pas aboutie sur ce sujet. Bien que l’on puisse penser qu’il s’agit d’une dérive idéologique, c’est bien plus souvent une absence d’enseignement sur le sujet de la philosophie de l’Histoire :

  • L’Histoire a-t-elle une fin ?
  • L’Histoire n’est-elle qu’une étude du passé sans recherche de sens ?
  • L’Histoire est-elle circulaire, cyclique, linéaire ?
  • L’Histoire n’est-elle qu’un progrès perpétuel ?

Voilà un très léger échantillon de questionnements en rapport avec la philosophie de l’Histoire. Des questions déjà majeures et complexes qui ne pourront que nourrir efficacement la pensée de chacun.

Ce qui me choque donc avec le recul c’est que même dans un double cursus, il n’y avait pas de cours sur la philosophie de l’Histoire. Alors même, que l’on m’avait gavé – littéralement – de cours d’Historiographie.

Dans ces cours d’Historiographie, j’ai eu le droit à un retour événementiel sur comment on a écrit et pratiqué l’Histoire. Ceci est d’ailleurs d’un intérêt très faible en général, vu que l’on se contente d’une liste événementielle. Dans les meilleurs cas, on commencera dès l’antiquité avec Hérodote – érigé en « père de l’Histoire » -. Dans le pire des cas, on commencera à l’époque contemporaine avec les différentes écoles d’Histoire.

Mais on ne va aucunement favoriser la réflexion propre à la pratique. Ce genre de cours est plus une approche par une chronologique déroulée des différentes manières passées d’écrire l’Histoire. La réflexion et l’auto-critique de la pratique seront absentes.

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Aborder le révisionnisme nécessaire ? Vous pourrez au mieux voir cela en privé avec votre enseignant-chercheur favori si il se sent concerné mais ce sera probablement tout.

Comment on écrit l’histoire? Pourquoi ? Dans quel but ? Comment est la pratique française/francophone comparativement à d’autres pays ? Quels sont les écueils, les limites de celle-ci ? Autant de questions que l’on ne se posera pas ou très rarement dans un cursus universitaire en Histoire. Ce qui est fort dommage.

Pour ma part, c’est la pratique des lettres classiques et la réflexion sur les textes antiques qui m’a permis de nourrir ma propre réflexion. Cependant, c’était encore très léger et il m’a fallu m’intéresser à des domaines comme la zététique ou l’esprit critique pour démarrer une véritable réflexion sur le sujet.

J’ai ensuite approfondi de moi-même au fur et à mesure des lectures, des articles et de ma pratique personnelle.

Il est donc assez triste de prétendre former un historien quand tout un pan de la pratique est manquant.

J’aurais aimé avoir cela dans mon cursus et si je devais donner un conseil qui pourra en aider beaucoup dans leur cursus ce serait de s’intéresser à la philosophie de l’Histoire. Cela éclaire drastiquement cette science humaine et permet une compréhension beaucoup plus aboutie et fine de ce que vous pourrez rencontrer par la suite.

Remédier à une méthodologie scientifique souvent aux fraises.

méthode scientifique bob l'éponge - Notions d'Histoire
Ce qui me vient en tête quand je lis certains articles ou quand je discute de faits historiques.

Un constat que j’avais déjà en licence et qui n’a fait qu’augmenter avec le temps. La méthodologie scientifique n’est clairement pas acquise et encore moins maîtriser :

  • Les biais cognitifs sont nombreux et très peu étudiés.
  • Méthode statistique et quantitative sont encouragées mais absolument pas maîtrisées. Les interprétations sont souvent vaseuses, les outils sont plus utilisés par effet de mode que par réel besoin (coucou les stats valorisées dans un mémoire sans rapport et les bases de données obligatoire), l’échantillonnage est subjectif et souvent non pertinent (pas de groupes témoins, échantillon étudié trop faible, interprétations incorrectes et recherches de confirmation,etc). Mention spéciale à la lexicométrie qui fait très science exacte mais qui ne permet en réalité aucun travail pertinent et fiable en Histoire, dû au fait que l’on dispose de plus de sources manquantes que de sources présentes : comment donc tirer des conclusions lexicométriques pertinentes quand on travaille sur un corpus estimé au mieux à 40% de la masse d’écrits produits à l’époque ?
  • Les disciplines complémentaires comme l’archéologie ou même l’informatique sont peu utilisées et lorsque c’est le cas, c’est souvent lacunaire. Ce qui induit un retard conséquent dans la manière de pratiquer et la pertinence de la recherche produite.
  • L’absence de rigueur dans la recherche au profit de la réutilisation d’auteurs précédents. Car bien souvent, la recherche ne produit que peu d’éléments neufs et certains « chercheurs » pour publier vite et régulièrement ne font qu’une nouvelle présentation des propos déjà écrits sur un sujet au travers d’un simple remaniement.
  • Très peu de réflexion sur la méthode scientifique, la valeur d’une preuve, la démarche hypothético-déductive et le raisonnement par induction. Pire encore, le principe de neutralité et celui de la falsifiabilité ne sont aucunement étudiés.

C’est là un ensemble de faits qui entravent la démarche historique et qui donne le flanc à la critique scientifique sur ce domaine d’études. L’Histoire devient de fait une discipline dont la scientificité est régulièrement critiquée et mise en cause par les autres disciplines scientifique, notamment les sciences exactes.

Ce qui est bien dommage et fort préjudiciable du point de vue de son enseignement,  quand on voit que l’on se bat pour la reconnaissance de la scientificité de l’Histoire. C’est d’ailleurs l’un des piliers de mon site.

Un bon conseil donc ? S’intéresser aux sciences plus dures pour enrichir sa propre rigueur scientifique. La réflexion historique n’en sera que meilleure si vous connaissez la méthodologie des autres sciences et les raisons derrières cette méthode.

Pallier à l’absence d’inter-disciplinarité.

Un autre élément qui m’a beaucoup perturbé dans mon cursus était l’absence d’interdisciplinarité. très peu de croisement entre disciplines amènerait beaucoup. Il est ainsi difficile à mon avis de parvenir à comprendre des phénomènes historiques comme le nazisme sans s’intéresser à la psychologie sociale et à la déshumanisation.

Il n’est pas non plus possible de comprendre pourquoi Hannibal n’a pas pris Rome lorsqu’il en avait l’occasion si on ne s’intéresse pas à la psychologie du personnage.

Pareillement, l’épistémologie est une discipline qui apporte beaucoup à l’Histoire. De même que la sociologie nourrit la réflexion historique. Si ces croisements, on peut  les voir s’opérer lors de conférences, il est dommage que ce ne soit pas plus mis en avant dans le parcours d’Histoire en lui-même.

On aura donc beaucoup à gagner à croiser les disciplines dans sa propre pratique de l’Histoire. La manière d’appréhender les faits n’en sera que plus approfondie, avec plus d’échos, plus d’outils que d’autres n’auront pas.

Dépasser le cloisonnement des périodes d’études et des champs de recherche.

J’aurais aimé rencontrer plus d’enseignants interrogeant leur propre pratique et notamment le cloisonnement des périodes d’études. C’est-à-dire des enseignants qui s’occupent un peu également de réviser et de remettre en cause les découpage en période historique. A titre de pure anecdote en 5 ans, je n’ai croisé que 4 enseignants qui le faisaient de manière réelle et sincère, avec des arguments, des questionnements, en multipliant les axes d’approches. C’est excessivement peu.

Si le cloisonnement par période est très utile, il s’avère qu’il est extrêmement réducteur, et beaucoup s’y restreignent encore. Bien que l’on s’intéresse de plus en plus au frontière des périodes, le cloisonnement est toujours présent au niveau réflexif.

Ainsi, il est difficile de prôner une approche transversale autour d’un phénomène étant donné que l’on demande aux étudiants de se spécialiser dans un domaine, c’est-à-dire bien souvent une période. En étudiant les schèmes culturels de nos jours et en essayent d’en expliquer les origines théoriques, j’avais par exemple une période chronologique d’études qui allait de l’antiquité à nos jours. On m’a demandé de concentrer sur une seule période. J’ai pu au maximum travailler sur l’antiquité et le moyen âge au travers de l’apport du christianisme et de sa remise en cause dans cet apport, culturellement parlant. C’est là un fait qui est plus une exception que la règle. Pourquoi ?

Si donc j’avais un conseil par rapport à tout cela, ce serait de dépasser ce clivage sans rejeter l’intérêt de la spécialisation. Comprendre des phénomènes historiques ne peut se faire qu’en sortant une approche comparative. Ce n’est pas possible si on se cantonne à une époque où à une aire géographique uniquement. Éviter le cloisonnement est la meilleure option pour bien comprendre.

Eviter le rapport au texte uniquement.

Le pire du pire selon moi, l’écueil ultime de l’Histoire. Énormément d’historiens ne se fondent que sur une approche via les sources écrites au détriment de tout le reste.

Livre source unique ? - Notions d'Histoire

Il s’avère parfois que cela conduit à une production historique qui n’est que de la réutilisation de ce que certains auteurs ont dit et écrit auparavant, comme je le disais dans un point plus haut.

Cette approche « livresque » laisse donc de côté tout ce qui relève du non-écrit comme :

Disciplines qui sont alors éludées en très grande partie, sauf cas de spécialistes du domaine.

Le hic, c’est que l’Histoire c’est aussi cela et pour certaines périodes historiques, on possède plus de matériaux non-écrits que de matériaux écrits. C’est notamment le cas de l’antiquité alors il semble tout à fait illogique et absolument pas rigoureux de laisser de côté autant de matériaux pour la recherche.

Un bon conseil – peut-être le plus important en Histoire – pour donner de la valeur ajoutée à votre réflexion c’est d’aller prendre tout ce qui peut nourrir cette réflexion et ensuite seulement effectuer votre travail d’historien.

En somme ?

Pourquoi avoir fait un tel article à part ? Parce que l’on me reproche assez souvent un soit-disant manque d’ouverture d’esprit, un manque de rigueur, une absence de remise en cause.

Pourtant, j’ai l’impression d’être déjà très critique, de questionner beaucoup, de ne pas hésiter à dire – et à justifier pourquoi – quand je rencontre une pratique en Histoire qui me dérange. Bien qu’il s’agisse de critiques souvent formulées par des conspirationnistes ou des tenants de pseudo-sciences – on y reconnaîtra les arguments classiques de remise en cause devant « réveiller » l’interlocuteur -, les questions n’étaient pas sans intérêt réflexif aucun.

Je m’en suis donc servi de prétexte pour un article de conseils sous la forme d’un retour d’expérience. Si j’ai effectivement beaucoup de points avec lesquels je suis d’accord en sciences humaines et en Histoire – comme la place du facteur humain et la non-prédictibilité des phénomènes à venir pour ne citer qu’eux -, cela ne signifie pas que je suis dénué d’esprit critique vis-à-vis de ma propre pratique.

Certains points me dérangent d’ailleurs très franchement et sont à l’origine de ma pratique de vulgarisateur.

Mais en poussant plus loin, je me suis aperçu que certaines de mes expériences auraient fait de bons conseils lors de mon cursus. Alors pourquoi ne pas en faire profiter chacun ? Qu’on soit étudiant ou dans la vie active, historien de formation ou néophyte complet, je pense que les conseils que j’ai pu formuler pourront aider certains à approfondir leur propre pratique.

Il s’agit clairement de conseils à tiroirs dans le sens où ils apporteront des sous-points à aller creuser, comme c’est le cas pour la méthode scientifique et la philosophie de l’Histoire. Cependant, ils seront d’un apport indéniable pour ceux qui me liront.

Il s’agit d’une tentative de remédier à des défauts de l’enseignement tout autant qu’à des défauts de la pratique de l’Histoire. Toutefois, c’est avant tout un retour sur mon expérience personnelle.

A ce titre, si vous avez des avis différents, des conseils supplémentaires ou une expérience différente, dîtes-le en commentaire. Cela ne pourra qu’ajouter à la valeur de cet article pour ceux qui y jetteront un oeil. L’aspect collaboratif est d’ailleurs, peut-être, le sixième point que j’aurais dû ajouter à cet article ?


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Quelques lectures en rapport ?

  • Concernant la philosophie de l’Histoire, on pourra lire un classique très intéressant pour démarrer : Aron, Raymond. Introduction à la philosophie de l’histoire: essai sur les limites de l’objectivité historique. Paris, Gallimard, 1938. Nouv. éd. rev. et annotée par Sylvie Mesure, Gallimard, 1991.
  • Concernant la méthode scientifique, Karl Popper reste un très bon point de départ concernant le principe de réfutation. Pour le reste, il faudra hélas se renseigner au cas par cas en étudiant le domaine que l’on cherche à approfondir comme la statistique par exemple.
  • A propos de la méthode scientifique, voici un article qui résume synthétiquement quelques points-clefs de la méthode et y aborde quelques limites.
  • Si vous voulez nourrir votre réflexion sur les découpages en périodes chronologiques, je conseille la lecture de cette page wikipédia qui bien qu’améliorable, est exhaustive et présente bien les limites. Les différences et les spécificités en fonction des pays y sont notamment traitées. A compléter avec la bibliographie en fin de page si besoin.

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