Les 5 citations historiques préférées des complotistes (et ce qu’elles veulent vraiment dire)

C’est toujours bien de citer un grand auteur. Cela donne de l’autorité, une aura de personne cultivée, du prestige social. Ou alors, ça vous fait passer pour un gros teubé qui ne mérite qu’un ravalement de façade à coup d’outils de jardins de qualité supérieure. C’est tout l’un ou tout l’autre.

Oui, une citation, c’est comme la gastro, vous avez le droit de l’évoquer mais ce serait mieux de ne pas en foutre partout.

Car, entendons-nous bien là dessus : citer, c’est bien ; citer quelqu’un sans rapport dans la conversation ou une personne qui n’est pas compétente dans le domaine, c’est mal.

Et parce que vous ne voulez pas être quelqu’un qui fait du mal, vous allez lire cet article, n’est-ce pas ?

C’est là tout le problème en fait quand on discute avec les tenants des théories du complot : l’usage de la citation remplace allègrement celui de l’argument. Il évacue totalement la présence de la preuve.

Il n’y a rien de plus rageant que d’écrire un bel argumentaire bien construit, sentant bon l’antiseptique de l’esprit critique sur une plaie à vif et de recevoir une réponse avec une citation. Ce sont vos 500 mots policés qui affrontent une réfutation qui en comporte à peine 15. A la rigueur, 16 si on compte les fautes d’orthographes.

On se sent comme David contre Gogoliath, sauf qu’on a plus envie de retourner la fronde contre nous-même vu le niveau d’en face.

Parce que ça cite Napoléon à tort et à travers, parce que ça sort une phrase d’un nazi notoire pour tenir tête aux propos d’un doctorant. A ce que je sache, Napoléon n’avait même pas une licence d’Histoire, c’est dire la nullité de cet homme.

En fait, le souci est justement là, les complotistes utilisent un arsenal de citations de manière galvaudée et sans vraiment savoir de quoi il est question.

Armons-nous de courage puis de pelles et commençons l’excavation des 5 citations historiques les plus utilisées par les complotistes dès que l’Histoire est concernée.


1 – « La vérité franchit trois étapes. D’abord, elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant été une évidence. »


Ce propos est très largement étalé par les conspirationnistes dès lors qu’on les met dans une impasse. A cours d’arguments et alors qu’on les ridiculise vertement, ces quelques mots sont censés démontrer que nous sommes là dans une posture classique : la position dominante qui refuse de voir qu’il s’agit en fait de la Vérité selon un schéma maintes fois répétée.

C’est une posture un peu plus intellectuelle et subtile que le classique appel à Galilée.


Pourquoi récuser ?

Parce qu’il ne suffit pas d’être ridicule ou d’essuyer une opposition pour que les propos que l’on défend deviennent une vérité. La qualité des arguments et des preuves est à préférer, plutôt que de se complaire dans une posture de victimisation.

Et surtout, on récuse parce qu’en fait, ce n’est pas du tout une citation qui traite de la vérité scientifique. Mais pour s’en rendre compte, il faudrait que le tenant des théories du complot ait appris à lire autre chose que les commentaires de Stopmensonges, de Egalité et réconciliation et de ReOpen911. Cela reviendrait à ouvrir un livre ou une encyclopédie mais ce serait supposer que le savoir se trouve dans les livres. Pure aberration !


D’où cela vient ?

Il s’agit d’une citation d’Arthur Schopenhauer, philosophe allemand du XVIII-XIX°s, notamment connu pour son pessimisme (au vrai sens du terme, pas du collégien en phase émo) et son travail sur les représentations du monde.

En l’occurrence, cette citation ne concerne pas tant le principe de vérité que celui des idées nouvelles auxquelles nous nous confrontons et qui finissent par modifier notre représentation du monde.

Il n’est donc pas question de vérité au sens scientifique du terme mais des vérités personnelles auxquelles nous tenons pour nous représenter notre propre monde.

On est bien loin des critères de scientificité de la vérité et des problèmes qui en découle. Cette citation ne saurait donc définir ce qu’est une vérité au travers de trois simples étapes. Si vous voulez savoir comment se construit la vérité, il faut se référer par exemple à Karl Popper, un des pères de la Science.

C’est un excellent point de départ et comme je suis bon prince, en bonus, voici une lecture synthétique à conserver en référence sur ce sujet. Attention, c’est le genre de lecture enrichissante mais complexe qui vous demandera d’avoir quelques instants de tranquillité pour réfléchir. Préparez-vous en conséquence, armez vous d’un café, d’une bière ou de tout carburant intellectuel digne de ce nom.


2 – « Un mensonge répété 10 fois reste un mensonge, répété 1000 fois il devient la vérité. »


Est-ce à dire que si j’affirme 1000 fois que je ne suis plus un illuminati je ne le suis plus ? Est-ce que je trompe quelqu’un en agissant de la sorte ? Est-ce à dire que si je répète en boucle n’importe quoi cela devient la vérité ?

Non, c’est plus complexe que cela. Assurons-nous de bien comprendre.

En fait ici, cette citation possède deux sens :

  1. On parle de la fabrication de l’Histoire officielle et de la Vérité (au sens absolu ici). Sous couvert d’un partage toujours plus important, des mensonges constitueraient actuellement ce que nous prenons pour notre Vérité. C’est ce que défendent pas mal de courants conspirationnistes comme celui de la Terre plate, qui n’hésite pas à attaquer la NASA en affirmant qu’elle nous abreuve de mensonges.
  2. Pour accéder au statut de Vérité et rétablir certaines « idées-vraies » (au hasard le plus total que le WTC est bien un travail de l’intérieur qui a demandé un complot), il faudrait accroître la visibilité de ces « idées-vraies » et leur partage afin d’accéder à un statut où ces idées deviendraient la Vérité. C’est une autre posture complotiste qui permet de saisir le caractère particulièrement véhément et prosélyte des tenants : il ne faut pas cesser de clamer les choses pour que finalement, la Vérité éclate au grand jour.

Malheureusement, c’est loin d’être aussi simple.


Pourquoi on récuse ?

Le problème encore une fois, c’est qu’il ne suffit pas d’énoncer que le cancer se soigne par un cristal de quartz dans le cul (et vu le bullshit lithothérapeutique, cette blague n’en est peut-être pas une) un nombre incalculable de fois pour que magiquement, une fois les 1000 répétitions atteintes, le cancer prenne peur et disparaisse plus vite qu’un reste de café dans un labo de scientifiques fatigués.

Mais accordons-nous un instant pour nous demander : où sont les preuves ? Car une fois de plus, on en oublie l’argumentation.

Le propre d’une vérité – au sens popperien du terme – c’est que si tout venait à disparaître, toutes nos connaissances, tout notre savoir, elle finirait par ressurgir avec le temps.

Cela a à voir avec le statut de la preuve et pas avec une histoire de visibilité où de répétitions. Et encore moins avec le nombre d’adhérents au propos.

Mais il s’avère que cette citation, en dernier recours, est surtout utilisée pour effectuer ce qu’on appelle un déshonneur par association. Rapport à celui qui a tenu ces propos le premier.


D’où cela vient ?

C’est une citation attribuée à Joseph Goebbels qui affirmait reprendre grosso modo les propos d’Adolf Hitler.

Bien que compris par certains comme une manière de faire éclater la vérité, c’est surtout une question de propagande et de contrôle des foules. Il est donc assez comique de voir les complotistes nous parler de Vérité en arborant une citation qui parle de propagande alors qu’ils en suivent toute la méthode d’enfumage.

Certains – un peu plus mûrs intellectuellement – ont compris de quoi il s’agit réellement. Ils utilisent donc cette citation pour accuser les scientifiques et affiliés de propagande éhontée. Le mode opératoire est simple et bien connu : « Diffamez, il en restera bien quelque chose ! » comme on dit.

Sans vouloir à mon tour faire un déshonneur par association, ce n’est donc pas exactement le genre de citation qui permet un échange sain et constructif, le point godwin étant dangereusement proche.

Cela dit si vous parvenez à la caler entre le dessert et le café, nul doute qu’envahir la Pologne ne sera qu’une formalité pour vous.


3 – L’histoire est écrite par les vainqueurs !


Là on touche du lourd, de la croyance populaire bien grasse, celle qui tâche. C’est le poing final dans ta face qui termine la phrase sur la « vérité officielle » qui fait rien qu’à déranger. Autrement dit, ce qui est officiel est trompeur car c’est ceux qui ont le pouvoir qui écrivent et font taire les petits. Ce qui fait que le rapport officiel du WTC est faux (coucou ReOpen911, familier du genre et du spam sur les réseaux), que l’Histoire officielle est fausse et qu’il faut donc essayer de remettre la vérité sur la scène.

Cette citation est souvent utilisée pour dénigrer des propos qui ne nous conviennent pas dès lors qu’ils proviennent d’une autorité reconnue. Il s’agit également d’une forme de déni typique qui se veut bien axée : « La vérité est ailleurs Scully ! ».


Pourquoi on récuse ?

Parce qu’un mensonge finit toujours par se savoir, parce que l’Histoire ce n’est pas cela, parce que les faits sont vérifiables, parce que ce n’est pas une preuve de falsifications.

Parce que c’est une posture auto-réfutante : si je suis dans le camp des vaincus alors mon avis est faux et en citant cette phrase je l’invalide donc ! #paradoxe

Parce que c’est du bullshit en tube donc certains ne respectent pas la posologie au risque de nous intoxiquer. C’est une perception faussée de l’Histoire où l’individu conçoit une version vraie et légitime face à une autre plus largement acceptée mais fausse.

Encore faut-il le prouver et ça, c’est comme tout dans le complotisme : là, y’a plus personne !


D’où cela vient ?

Il s’agit en temps normal d’une manière d’interroger l’Histoire sous l’angle de son objectivité, notamment en ce qui concerne la récupération et l’instrumentalisation de l’Histoire dès lors que le politique s’en mêle ou qu’un conflit pointe le nez.

La nécessité politique d’un « roman national sur fond historique  » pour une cohésion nationale tend à rendre populaire la mise en avant d’un récit qui occulte d’autres versions. Ce qui n’est de ce fait plus de l’Histoire.

C’est à l’origine une phrase du journaliste et écrivain Robert Brasillach dans Frères ennemis de 1944. Citée et déformée à outrance, puis victime de la subjectivité conspirationniste.

Mais avant cela, le propos est déjà tenu en substance par Machiavel :

« Et si nous ne connaissons, en comparaison des Romains, qu’un très petit nombre de leurs héros, il faut en accuser la partialité des historiens qui, le plus souvent esclaves de la fortune, ne célèbrent que les vainqueurs. »

Machiavel,  1521.

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur l’invalidité du propos, lire : L’histoire est-elle écrite par les vainqueurs ?


4 – « L’Histoire est une somme de mensonges »


Un peu plus subtile que d’autres citations, celle-ci a le mérite d’être claire et de faire éviter les contre-sens.

Il faut toutefois savoir que c’est souvent une citation tronquée. La version complète est : « L’Histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord.”

On ajoute donc une petite dose de complot ou d’accords mensonges sur le tas de mensonges. Cette citation semble donc mettre à mal l’Histoire et par rebond les autres sciences.

Tenons-nous là une citation parfaite et imparable ? Pas vraiment.


Pourquoi récuser ?

Citer cette phrase, c’est faire de l’Histoire une simple littérature subjective. Or, il n’en est rien. L’Histoire est une enquête qui suit la méthode scientifique, le plus rigoureusement possible et qui se fonde sur des faits. Ce qui est totalement nié ici.

A la rigueur, cette citation pourrait être valide en ce qui concerne l’élaboration du roman national, c’est-à-dire sur le récit politique qui repose sur certains éléments d’Histoire et qui sert à véhiculer certaines images devant avantager une nation. Mais en aucun cas, il ne s’agit d’Histoire.

Cette citation est donc très mal utilisée (et souvent à tort) alors que le domaine ne s’y prête pas puisque ceux qui l’emploient sont généralement incapables de distinguer l’Histoire du roman national.


D’où cela vient ?

Il s’agit d’une citation de Napoléon Bonaparte, rapportée par Honoré de Balzac dans Maximes et pensées de Napoléon, de 1838.

Il faut cependant comprendre que ce recueil de propos tenus par Napoléon est à contextualiser et à assimiler en lien avec la vie politique de l’empereur français et non dans un cadre de vérité générale.

Ceci dit en passant, Napoléon n’était pas un historien et n’avait pas la prétention avec cette phrase de fournir un propos scientifique. Il s’agissait bien plus de fournir une réflexion sur ses propres campagnes et le roman national qu’il en faisait pour constituer sa légende et l’identité nationale de l’Empire français.


5 – Il n’y a pas de fumée sans feux ! / A qui profite le crime ?


Cette citation – qui est plus un adage à proprement parler – s’avère être une problématique plutôt qu’une affirmation comme d’habitude. Il est question d’un bénéfice dans tous les crimes et donc d’une logique imparable : celui à qui profite le crime est le coupable.

Cependant, cette logique n’est pas une preuve mais une démarche réflexive où l’on cherche le mobile. Emprunté à la sphère judiciaire, cet adage n’est pertinent que lorsque l’on met en place un raisonnement inductif.


Pourquoi on récuse ?

Toutefois, il faut garder à l’esprit que si plusieurs personnes peuvent avoir des intérêts ou tirer des bénéfices d’un crime, cela ne signifie aucunement qu’ils en sont les auteurs. Ce raisonnement – sans jamais remettre en cause sa pertinence – est insuffisant seul et doit s’accompagner des preuves nécessaires avant d’accuser qui que ce soit.

À titre d’exemple, mon sujet particulier de prédilection est celui des pompiers :

  • Premiers sur les lieux du crime.
  • L’existence des incendies justifie leur rôle et leur salaire.
  • Ils allument volontairement de faux-feux et savent parfaitement comment un incendie se déroule.

 »A qui profite le crime ? » permet de faire des pompiers des criminels tout désignés. Sauf que rien ne vient étayer cette affirmation en terme de preuves.

Il est donc fondamental de finir la réflexion pour éviter les erreurs crasses. Ce n’est pas parce que l’on tire profit de quelque chose qu’on en est responsable.


D’où cela vient ?

C’est un adage tiré des investigations et discours judiciaires de la Rome antique. Cela provient du « qui bono ? » que Cicéron n’hésite pas à utiliser par ailleurs.

Mais comme n’est pas Cicéron qui veut, je conseille d’abandonner cette citation si on ne la maîtrise pas. Histoire d’éviter de passer pour un abruti à la logique ikéa. C’est-à-dire un esprit tout juste bon à suivre une notice de montage intellectuel alors qu’il se gargarisera sur le net d’avoir embouti l’argument A2 dans le trou prévu à cet effet.

Avec cette citation, on est souvent bien loin de l’esprit critique désirée. Mais ça permet à xXxDarkBibuDu94xXx de cracher son antisémitisme et à MâleAlphaPickupArtist de vomir sa haine bien fondée envers les femmes qui font rien qu’à refuser de coucher alors qu’il demande poliment via dickpick.

Si vous avez reconnu au passage les relents de grand remplacement, je m’associe à votre douleur .


En somme ?


Bien que faire une citation fonctionne comme une caution intellectuelle, ces quelques phrases n’en sont pas de bons exemples.

Particulièrement utilisées dans des contextes conspirationnistes, elles sont toutefois à relativiser car bien souvent, elles sont utilisées à tort et à travers. Quand elles ne sont pas tout simplement mal comprise, leurs utilisateurs en font un contre-sens dérangeant.

Toutefois, il faut reconnaître aux conspis une certaine régularité qui les pousse à toujours user des citations de manière erronée.

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Il est intéressant de les connaître ces citations car elles sont dégainées de manière quasi-systématique. Ce qui vous rend assuré de les croiser tôt ou tard dans des discussions conflictuelles.

Mais plus important, face à elles, il faut savoir les réfuter. Et pour cela, il est nécessaire de les comprendre. Ce qui ne peut se faire qu’en sachant d’où ces citations proviennent.

Cet article à donc pour vocation de servir de référence simple, accessible, rapide et teinté d’un reflet acide, en cas de confrontation subite et dérangeante avec une pénétration non-consentie de votre esprit critique. Sortez donc couvert avec cet article !

P.S : S’il fallait le préciser, ce n’est pas en usant de quelques citations qu’on fait de l’Histoire.


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Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. Frédéric dit :

    puisque qu’on parle de citations, en voici une de Somerset Maugham, assez appropriée, je pense: “La faculté de citer est un substitut commode à l’intelligence.” 😉

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