Comment appréhender le passé ?- les 4 philosophies de l’Histoire [2/2] (notion 9)

La vision  fataliste de l’Histoire est tout aussi erronée que la vision cyclique. C’est ce que nous avons vu dans le précédent article. La première réfléchit en fonction d’une fin hypothétique mais fondamentale en terme de sens. La seconde accentue le côté immuable, fermé et finalement uniquement répétitif de l’Histoire. Bien qu’elles soient fausses puisqu’aisément réfutables comme nous l’avons vu, il faut néanmoins les connaître. En effet, il faut combiner des éléments de chacune de ces philosophies pour saisir comment on envisage l’Histoire de nos jours. De quoi s’agit-il ?

Ces deux visions sont dites « modernes » car à l’échelle du temps, elles sont récentes et le fruit d’une remise en question de l’Histoire. Elles font suite au développement des disciplines scientifiques sous l’influence du positivisme d’Auguste Comte.

Philo Histoire intro - Notions d'Histoire


La vision progressiste (ou accumulatrice)


Loin des deux visions précédentes, la vision progressiste y pioche néanmoins plusieurs éléments. De la vision linéaire, cette conception retient le concept de linéarité et un certain fatalisme.

De la vision cyclique, la conception actuelle a hérité des principes de développement – grandeur et décadence – et de l’idée de progrès continuel des connaissances.

La vision progressiste de l’Histoire est une conception basée sur la notion de progrès, au sens strict et étendu. C’est-à-dire qu’il faut concevoir l’Histoire comme une accumulation de connaissances, comme une somme de progrès qui conduit à ce que nous sommes actuellement.

Cette conception a été notamment popularisée par l’apport de Marx et de Hegel. On parle donc à plus ou moins juste titre de vision marxiste ou de vision hégélienne de l’Histoire.

Le soucis de la vision progressiste, c’est qu’elle doit conceptualiser une finalité. Cette finalité doit permettre à la fois d’obtenir un objectif à atteindre et d’expliquer, de donner un sens à la marche de l’Histoire.

Ainsi, chez Marx et Hegel, l’Histoire est celle de la lutte des classes et la marche de l’Histoire n’est que la progression vers cette finalité où la lutte se termine.

Le problème est le même que pour la vision linéaire, c’est le fatalisme introduit. C’est déjà un écueil majeur à cette philosophie de l’Histoire.

Mais le propre de la vision progressiste est sa relation avec l’idée de sens et de progression. En suivant cette idée, on se rend compte qu’il s’agit toutefois d’une problème en soit. L’idée de progrès tel que présentée tend à signifier que plus on se rapproche du présent et plus nous sommes avancés.

Vision accumulatrice - Notions d'Histoire
On notera au passage que selon cette vision, notre société actuelle est forcément la plus avancée alors que c’est tout à fait relatif en fonction du point de vue. Plus avancée en savoir ? En égalité sociale ? En répartition des richesses ? En fait, chacun y plaque ce qu’il veut et cela fait de cette vision quelque chose de bien trop subjectif pour être utilisable scientifiquement.

Pourtant, nous savons que des savoirs ainsi que plusieurs connaissances ont été perdues (certaines techniques d’orfèvrerie ou encore certaines techniques de forges nippones arès la seconde guerre mondiale). On sait également que cette idée d’une finalité n’est pas scientifique, mais purement idéologique (c’est-à-dire totalement arbitraire). On sait également que ceux qui nous ont précédés avaient les mêmes capacités cognitives que nous.

En prenant en compte tout cela, on parvient à comprendre que cette conception peut être battue en brêche. Bien qu’elle soit fréquente et très largement utilisée chez ceux qui défendent une idéologie au travers de l’Histoire, il s’agit surtout d’une perception tronquée, orientée et fonctionnant sur le principe du biais de confirmation.

A titre d’anecdote, c’est une vision généralisée en pseudo-histoire, en archéologie romantique, ainsi qu’en pyramidologie. On la retrouve en effet chez Jacques Grimault, Patrice Pooyard et bien d’autres.

L’idée de progrès relatif au temps qui passe induit une certaine régularité dans la progression. Dans ce contexte, le récentisme voit toute absence de progrès – ce qui est déjà à relativiser – comme une période factice de l’Histoire.

Dans un autre registre, si nous sommes au sommet actuel de l’avancée et du progrès, notre impossibilité à réaliser les pyramides plus de 4000 ans plus tard ne peut signifier qu’une chose : les égyptiens n’en sont pas l’auteur et il ne peut s’agir que d’une autre civilisation beaucoup plus avancée.

Cette conception de l’Histoire est probablement la plus problématique car elle est la plus encline à servir l’idéologie que l’on voudra bien y insérer.

Un historien sérieux et rigoureux ne versera pas non plus dans cette conception car l’Historiographie en a suffisamment démontré l’invalidité et les dérives.

Au pire, on la retrouvera encore de nos jours dans de la pseudo-histoire sans grande valeur scientifique, dans certains courants de « déprogrammation historique ». Au mieux, on la cotoiera dans une sociologie idéologiquement orientée et donc de piètre qualité.


La vision agnostique


A l’heure actuelle, c’est la vision la plus juste à laquelle on puisse adhérer, en fonction des connaissances dont nous disposons.

En revanche, c’est probablement la conception la plus compliquée à appréhender. Je vais donc essayer de faire au plus simple.

On peut résumer cette conception par une phrase célèbre de Schopenhauer :

schopenhauer - notions d'histoire bitches
Ah pardon, je me suis trompé. Ça c’est la citation concernant le déni de scientificité de l’Histoire.

La phrase célèbre en question c’était celle-ci en fait : « Eadem sed aliter« , soit « la même chose mais différemment. » C’est-à-dire que de mêmes causes peuvent amener des conséquences différentes. On sort donc totalement du cadre fataliste des précédentes conceptions.

En suivant cette conception, on intègre plusieurs éléments réflexifs qui sont fondamentaux :

  • La notion de progrès est présente sans être un absolu. Les pertes et les retours en arrières sont conceptualisés et intégrés.
  • La présence de cycles ou de linéarité est prise en compte mais également tempéré. On ne peut en faire des absolus car cela revient à exclure des faits de l’Histoire, nous l’avons vu.
  • Les conceptions idéologiques sont prises en compte mais tenues pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des opinions personnelles pouvant rassembler. En aucun cas, elles ne sont tenues pour un modèle explicatif absolu. Aucune idéologie n’est donc prépondérante, ce qui est responsable en partie du terme « agnostique » de cette conception.
  • Cette vision de l’Histoire intègre une élément fondamental qui est le facteur humain. Cela introduit une notion d’aléatoire et de hasard, due au propre de l’humain. C’est une notion totalement absente des précédentes perceptions. On l’appelle le « facteur humain« .

Ces différents éléments permettent non pas une mais plusieurs représentations schématiques de l’histoire. Pour les saisir, il faut se représenter un ressort que l’on observe sous plusieurs angles.

Cette conception de l’Histoire est en fait la plus efficace car elle intègre les perceptions précédentes tout en corrigeant les erreurs de celles-ci. De plus, elle demeure plus neutre et objective que la vision accumulatrice. Elle ne souffre donc pas de ses dérives.


En somme ?


Après tout le cheminement et les réflexions sur les représentations de l’Histoire, c’est finalement avec cette conception agnostique que l’on peut comprendre notamment la présence du hasard dans les événements historiques et les écueils des précédentes perceptions.

C’est avec cette conception, une fois assimilée, que l’on peut réfuter la pseudo-histoire aisément.

Mais c’est aussi avec cette conception en tête que l’on peut saisir à quel point des courants comme la cliodynamique ne relève pas de l’Histoire.

Paradoxalement, c’est avec cette conception de l’Histoire que cette science pose problème pour ce qui relève de sa scientificité. En effet, pour mériter l’appellation de « science », il faut assurer un facteur important qui est la prédictibilité. Il s’agit en fait de la capacité à prédire avec les lois scientifiques ce qui va se passer si une certaine cause se produit.

Par exemple, avec la loi scientifique de la gravité, si je lâche un objet sur Terre d’une certaine hauteur, il subira l’influence de la gravité et sera attiré vers le sol. Une même cause entraîne une même conséquence : c’est cela la prédictibilité.

Or, le « facteur humain » rend la prédictibilité impossible puisque cela introduit de l’aléatoire.

Certains scientifiques et surtout ceux en sciences « exactes » affirment donc – de bonne foi – que l’Histoire n’est donc pas une science puisqu’elle ne peut rien prédire.

Est-ce vraiment le cas ?


En réalité, il s’agit d’une méconnaissance du sujet. La conception de l’Histoire est un ici un modèle efficace, qui fonctionne et qui résiste aux nouvelles données que nous découvrons. Cela le rapproche de la théorie scientifique. Elle ne saurait prédire avec une certitude absolue les événements qui vont se produire mais, elle n’est pas pour autant dénuée de capacité prédictive. Il suffit de voir pour cela les réactions de causes à conséquences dès lors que les formes de pouvoirs deviennent autocratiques. On sait effectivement que des tensions vont apparaître et qu’elles pourront devenir violentes voir sortir du contexte de la légalité. Ces prédictions, sans être absolues, sont pourtant fiables, observables et corroborables.

En vérité, en intégrant le concept de facteur humain, l’Histoire a su intégrer – comme pour une théorie scientifique – les éléments qui pourraient lui faire défaut et l’invalider.

L’Histoire est donc une science particulière certes où il faut composer avec ce fameux facteur humain. Elle n’en demeure pas moins une science qui fonctionne.

Ceci n'est pas un argument - Notions d'Histoire
Et comme je vais avoir des gens trop gentils et trop trop instruits sur le sujet qui vont venir pour la 356° fois l’ouvrir sur le sujet de la scientificité de l’Histoire sans avoir rien compris, voici ma réponse en prévention. Oui, j’en ai marre de refaire la même discussion avec des gens n’ayant ni le bagage ni l’envie d’aller se renseigner.

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