C’est quoi la féminité ? – réflexion sur les genres [notion 11]

C’est quoi la féminité ? Cette question, posée sur un groupe privé est l’occasion de faire un brin d’Histoire des genres.

Parce que le genre comme concept, c’est tout sauf simple. Et parce que comprendre les différents genres, c’est encore plus compliqué. C’est pour cela qu’il peut-être intéressant que quelqu’un revienne dessus.

Et c’est même encore mieux avec un brin d’esprit critique. En prime, tu trouveras cher lecteur des sources et des références sur le sujet en fin d’article.

N’est-ce pas merveilleux ? N’est pas magnifique ? Est-ce que ça ne mérite pas un don sur tipeee ? Moi je pense que si, mais il paraît que je suis biaisé. Donc, sans plus attendre, essayons de voir si on peut définir ce qu’est la féminité et si oui, par quels critères ?

Nota bene : Cet article est une synthèse non-exhaustive, un condensé d’un semestre complet de licence dont le sujet était l’Histoire du corps, du genre et de la sexualité. J’ai bien entendu complété par quelques lectures annexes sur le sujet. Cet article fait ainsi partie des questions excessivement complexes sur lesquelles il est difficile de se prononcer du fait de leur subjectivité et de la multiplicité des variables. Merci de garder cela en tête à la lecture.


Qu’est-ce que féminité/masculinité ?


Si on se fie aux définitions pour une fois, nous ne sommes pas plus avancés. La féminité tient à ce qui à trait aux femmes tandis que la masculinité tient à ce qui a trait aux hommes.

Le problème est donc de savoir par quels critères nous attribuons un genre féminin ou masculin. C’est un problème plus vaste que notre perception personnelle, faussement objectivable.

En réalité, le questionnement de la féminité et de la masculinité renvoie à la perception de soi-même vis-à-vis des autres. En effet, la perception de la féminité – et de la masculinité – va permettre à la construction de l’identité sexuelle ainsi qu’à celle de l’identité de genre.1


Une question de perception ? Kézako ?


Définir la féminité, comme tout type de genre, c’est avant tout interroger une perception de soi. Avant même de questionner le rapport à l’autre, c’est un questionnement de soi :

  • Qu’est-ce que je suis ?
  • Grand.e, petit.e, gros.se, maigre ?
  • Homme, femme, androgyne ?
  • Séduisant.e, apathique ?

Finalement, ce ne sont que des adjectifs qui questionnent la manière dont nous nous voyons.

La question de la féminité et celle de la masculinité sont avant tout un questionnement de nous-même. Ils visent à construire des repères individuels. Grâce à ceux-ci nous pourrons alors organiser notre rapport au monde.

Néanmoins, ce questionnement, s’il se fait par nous-même, pour nous-même et sur nous-même, utilisent des repères qui ne nous appartiennent pas.


Selon quels critères ?


Les critères d’élaboration de notre identité de genre sont liés aux codes hérités de notre environnement.

Il est possible de classer ces derniers. Pour cela, on distingue deux catégories : les codes culturels et les codes sociaux.

Les codes culturels


Définir la féminité de nos jours n’a rien à voir avec la conception de la féminité au XVIII°s ou durant l’Antiquité. Et cela n’a encore rien à voir avec la féminité en Europe, en France, au Japon, en Chine.

Les questions de genre sont relatives aux normes et aux codes culturels de chaque époque. Ainsi qu’aux codes propres à chaque zone géographique.

Ainsi, le rose était auparavant une couleur jugée masculine. Mais c’était avant qu’une reine de France ne se l’approprie. Par un basculement culturel, le rose est alors devenu “féminin”.2

Ce qui démontre au passage que les critères culturels ne sont pas objectifs. Ils sont encore moins intemporels et surtout pas inertes. Tout ceci est fluctuant.

Par ailleurs,la féminité sous l’empire romain n’a rien à voir avec la féminité de l’Asie du Moyen-âge. Comprendre cela n’est que peu de choses. Par la suite, on comprend que ces perceptions sont aussi relatives aux groupes sociaux auxquels nous nous rattachons.3

Tu trouves cela flou ? Voici un exemple parlant : la masculinité dans la culture chrétienne. Oui, la bonne masculinité, c’est donc celle de Jésus. Voilà. 4

“Masculinity. In recent years, the use of this word has become controversial, and discussion about it unwelcome or silenced. Is all masculinity “toxic”? Dr. Tim Gray strongly asserts that while fallen masculinity does exist, authentic, God-given masculinity is a great virtue that is desperately needed in our world. Drawing on personal and cultural examples, Tim challenges men to face their fears about failing or “striking out,” and encourages them to become the men they desire to be—loyal, dependable, and beloved friends, spouses, and fathers—in the image of Jesus Christ, the Perfect Man.”

The virtue of masculinity, Tim Gray.

La masculinité. Depuis quelques années, l’usage de ce mot est devenu controversé, et les discussions à ce sujet ne furent pas les bienvenues ou furent passées sous silence. Toutes les masculinités sont-elles “toxiques” ? Le docteur Tim Gray affirme fermement que bien que la masculinité dévoyée puisse exister, l’authentique masculinité est un don de Dieu ainsi qu’une grande vertu faisant cruellement défaut à notre monde. Au travers d’exemple personnels et culturels, Tim met les hommes au défi d’affronter leur peur d’échouer ou de “louper son coup”. Il les encourage à devenir l’homme qu’ils veulent être – loyaux, fiables, ainsi que des amis, époux et pères bien-aimés- à l’image de Jésus Christ, l’homme parfait. »

La vertu de la masculinité, Tim Gray.

La même chose s’applique bien sûr à la féminité. On comprend dès lors que le contexte culturel peut impacter nos perceptions des genres. On comprend également la manière dont il conviendrait de se comporter en conformité avec ceux-ci.5

Ce qui se couple bien souvent avec des codes sociaux.

En résumé : Les codes culturels que nous utilisons changent grandement notre manière de percevoir les genres. Notre façon d'appréhender les individus est complexe. Elle se situe à la rencontre de notre propre perception et de celle des autres, en fonction d'une grille de lecture inhérente à notre culture. Il peut être difficile d'appréhender la féminité dès lors qu'on élargit sa réflexion. La compréhension de ce concept est plus compliquée dès lors qu'on confronte les cultures entre elles. Ce qui est encore plus complexe lorsqu'on confronte notre réflexion avec les cultures passées. Coucou la figure de la matrone romaine par exemple.


Les codes sociaux


Pourquoi je trouve cette femme attirante et féminine ? Pourquoi alors cette autre peut ne pas du tout apparaître comme féminine à mes yeux ?

Pourquoi un connard machiste peut être considéré comme le summum de la virilité ?

Tout dépend des groupes sociaux dans lesquels nous évoluons et des codes que ces derniers véhiculent. Ainsi que du degré d’acceptation que nous éprouvons envers ces codes.

Pour faire simple, prenons un exemple très commun qui défraie souvent la chronique :

Un homme qui se fait pénétré est-il moins homme ?6

Pour beaucoup oui. Pourquoi ? Parce que cela revient à une réduction de l’homme à un statut féminin. La comparaison est dégradante et surtout invalide. Une femme pénétrée est-elle moins femme ? Absolument pas.

Maintenant, changeons encore les repères. Une femme pénétrant un homme devient-elle plus homme tandis que l’homme deviendrait plus femme ?

Techniquement, un homme reste un homme et une femme reste une femme, qu’importe la pratique. Pourtant, nous attribuons certaines pratiques et certains comportements à un genre en particulier. Simplement parce que nous les trouvons appropriés à ce genre. Pourquoi ?

Nous transposons les codes sociaux dans lesquels nous baignons sur les situations que nous vivons. Ces codes ne sont pourtant valides que tant que nous ne les questionnons pas.7

Autre exemple, toujours avec le rose : porter du rose fait-il la féminité ?

Nous serons d’accord pour dire qu’aimer porter une couleur ne changera pas notre genre. Pourtant, cela peut constituer un repère nous permettant de juger de la féminité. Pour autant, cela reste quelque chose de totalement subjectif. C’est surtout révélateur des codes sociaux que nous utilisons.

En résumé : Féminité, masculinité et autres concepts de genre dépendent des codes sociaux que nous trouvons appropriés de valider. En fonction d'un schéma de valeurs sociales que nous approuvons à des degrés divers, nous jaugeons les aspects de genre. Ainsi la conformité entre ce que je perçois d'un genre et ce que j'en attends n'est plus seulement valable pour moi seul. Cela dépend surtout d'une validation d'un groupe social dont je partage les codes à ce moment précis. Une femme qui pète autre chose qu'un arc-en-ciel a donc de très grandes chances de perdre des points de féminité. parce que tout de même, c'est un truc de bonhomme que de lâcher des trucs qui fleurent bon le cimetière barbare. 8


Qu’est-ce que ça veut dire ?


Questionner une identité de genre, c’est questionner sa perception de soi-même et la manière dont on perçoit les autres. Le tout en fonction de repères subjectifs.

La féminité, comme n’importe quelle autre rapport au genre, est une rencontre interrogative :

  • de la perception de soi-même.
  • des codes sociaux et des codes culturels à un moment donné.

La complexité de ce phénomène est lié à la construction de l’identité de chacun. C’est pourquoi la déconstruction des réflexions genrées posent autant de problèmes à certains, avec des réactions parfois violentes.

Ce phénomène est hautement subjectif. Cela peut être facilement constaté lors d’une confrontation des différents codes à une ambiguïté de genre. Transgenre et intersexe questionnent le rapport aux genres. Ces deux concepts montrent surtout l’invalidité des codes que nous utilisons. Ces derniers ne permettant alors pas de classer ces individus dans des catégories propres à nos propres représentations. Ce qui amènent souvent à réévaluer ces codes.

Les interrogations de genres sont difficilement définissables. En effet, l’appréhension des genres est fluctuante et dépendantes de critères variables. En définitive, il n’y a de réalité de genre que celle qu’on essaye de lui accorder selon notre approche personnelle.

En résumé : On n'a pas de définition toute faite et parfaite. L'appréhension d'un genre est la rencontre entre la manière donc tu te vois et la manière dont tu perçois les autres. Cette appréhension se fait alors en fonction des modèles de représentation que tu t'es construit à partir de ton milieu culturel et social. Tout ceci est tout sauf simple et évolue en plus avec le temps.


Alors, c’est quoi pour toi la féminité ?


Sources et notes


Note annexe : L’image en anglais à propos des interrogations concernant le pegging est tirée de cet article anglophone. Celui-ci répond à plusieurs interrogations sur le sujet. Il permet de saisir l’étendue des questions ainsi que les sous-entendus réflexifs qu’ils impliquent. Plutôt utile pour ceux qui n’y connaissent rien du tout. C’est d’autant plus intéressant que la question est posée dans le contexte du christianisme.


  1. A ce sujet, lire Sandra Harding, The Science Question of Feminism, Ithaca, Cornell University Press, 1986. ↩︎
  2. La représentation la plus virile du rose est probablement celle d’Henri IV en Mars de 1606, présente dans cet article. Ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle que le rose commence à devenir plus féminin, sous l’influence de la Marquise de Pompadour qui casse les codes couleurs en portant des robes virilement roses à Versailles. On parlera dès lors de “rose Pompadour”. ↩︎
  3. En cas de besoin, une lecture rapide de la page wiki sur les représentations féminines dans l’art te permettra de mieux comprendre tout l’éventail de la question. ↩︎
  4. Une lecture hautement recommandée pour tout homme qui se respecte ainsi que pour toute femme qui souhaiterait pouvoir connaître les critères de sélections d’un vrai homme. Disponible ici. ↩︎
  5. A propos des codes culturels, ceux relevant du sport peuvent aussi éclairer nos conceptions genrées et celle de la féminité. On pourra lire cette étude : “Le sport comme espace de construction sociale de la féminité : jugements d’adolescentes et d’adolescents concernant les filles qui pratiquent des sports de tradition masculine”, Recherches féministes, 2006. ↩︎
  6. Cette question peut sembler provocante ou bien prêter à rire, c’est selon. Pourtant, depuis l’Antiquité, la question est très sérieusement posée montrant bien l’inquiétude en la matière. Les questions de sexualités et la légitimation des “bonnes pratiques” est un phénomène déjà présent dans l’antiquité romaine. Quant à la question du pegging il est fréquemment invoqué la peur de “déviriliser”… ↩︎
  7. A ce sujet, on peut lire également R. W. Connell qui définit le principe de “masculinité hégémonique” et conceptualise ses problèmes inhérents ainsi que son apport dans la conception de la féminité dans Gender and Power : Sexuality, the Person and Sexual Politics,en 1987. ↩︎
  8. A moins qu’en fait, ce ne soit excessivement féminin car cela signifierait que cette femme est capable de s’affirmer autrement qu’au travers de l’image de la femme parfaite et fragile, assurant un caractère authentique propre à montrer qu’elle est suffisamment forte et sûre d’elle pour briser les faux-semblant. Diable, on s’y perd non ? ↩︎

2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. sherardia dit :

    C’est passionnant. Il serait interessant de lister les critères morphologiques/comportementaux typiquement féminins (peau douce, visage fin, cheveux longs), ceux typiquement masculin (péter, avoir une mâchoire large, les poiiiiils) et les faire hiérarchiser, ou bien « noter », par différentes catégories sociales (femmes, hommes, occidentaux, asiatiques, vieux, jeunes etc…)
    Je ne connais pas du tout les mots-clefs qui me permettraient de trouver ce genre d’article dans les bases bibliographiques, c’est frustrant!
    En tous cas, je suis super interpellée par cette phrase « Pourquoi je trouve cette femme attirante et féminine ? » Il m’arrive de trouver des femmes attirantes, parfois elles sont ultra-féminisées (ex: Megan Fox), parfois un peu butch (ex: Kirsten Stewart) ou même entre-deux (ex: Tilda Swinton). Pour le coup, ces deux termes ne me paraissent pas étroitement reliés, mais peut-être suis-je biaisée parce que je suis plutôt cic-hétéro…

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    1. Ardes dit :

      Je ne sais pas si une telle liste existe. Je suppose que oui, mais je n’en ai aucune certitude.

      En tout cas, ce n’est pas moi qui vait pouvoir m’y atteler. Ce serait un travail titanesque et véritablement complexe.

      « Pourquoi je trouve cette femme attirante et féminine ? »
      Je suis assez content que cette simple question « dérange ». J’ai remarqué que souvent, l’attirance et la féminité sont liés quand on cherche à définir ce qu’est la féminité. A mon sens, ce n’est ni obligatoirement le cas, ni forcément fréquent. Il me semble que c’est une fausse injonction faites aux femmes. On leur demande d’être féminine (selon des critères flous) en assurant que c’est ainsi qu’elles en tireront une gratification sociale. On est encore dans l’idée que la féminité doit être travaillé pour la femme si elle veut réussir, a fortiori si elle veut trouver une personne avec qui partager sa vie.

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