Histoire de conspirer : quelle recette pour un bon complot ? [2/3]

Si la valeur de la preuve est le point de divergence entre les tenants du complot et les scientifiques, comment les tenants mettent-ils en place leur réflexion ? Comment est-il possible de se passer de preuves formelles quand on se veut rigoureux et sérieux ?

Il faut comprendre que cette approche du tenant rejette bien souvent les sources scientifiques et les preuves apportées. Sur la base des conflits d’intérêt, d’une non-fiabilité des scientifiques, d’un « dogme scientifique » voir carrément d’un complot des scientifiques. Il suffit alors de fournir quelques points évocateurs doublés d’expressions toutes faites (« Il n’y a pas de fumée sans feu », « A qui profite le crime ? », « Vous pensez vraiment qu’ils n’agissent pas par intérêt ? », etc) pour jeter un discrédit dont on va chercher à se nourrir. C’est certes classique mais toujours fonctionnel. Est-ce de cette manière que le complotisme s’organise réflexivement ? Sont-ce là les seules réflexions du complotisme ? Tout ne peut pas être faux non ?

Intro complot 2 - Notions d'Histoire

Il s’avère que non. Ce n’est qu’une sorte de pré-requis introduisant les idées nécessaires à toute réflexion préalable. Au travers de l’idée de mensonge, de conflit d’intérêt et de défiance.

Pourtant, tout cela ne fait que refléter les soucis du conspirationnisme, à savoir sa méthode réflexive. Cette méthode est commune à toutes les théories du complot. Ce qui permet de traiter ces idées conspirationnistes en analysant le modèle qui en fait l’archétype.

Car plus que la simple idée d’un complot, plus que le rejet de la preuve formelle, une théorie du complot se distingue par son rapport au doute et à la défiance. Ces deux concepts introduisant et déroulant à leur tour le schéma de la théorie.

Le modèle de la théorie du complot

Doute réel ou croyance à confirmer ?

Confirmation de sa propre croyance - Notions d'Histoire
Une fois éliminé tout le reste parce que je n’y crois pas, ça ne peut forcément être que cela mon cher Watson ! #biaisdeconfirmation

La place de la preuve semble être primordiale pour les théoriciens du complot. Cependant, lorsque les arguments s’effritent et que les preuves n’en sont plus, il n’est pas rare de voire l’appel au doute évoqué comme une justification suffisante en elle-même. Toutefois, ce droit au doute, si cher à ces tenants est-il réellement une mise en avant d’un doute méthodique et rigoureux ? Comparons-le aux autres disciplines qui se réclament du doute.

Ainsi, le révisionnisme en Histoire – à ne pas confondre avec le négationnisme – en appelle au doute et à la remise en cause de ce qui a déjà été étudié. Dans un registre différent, la zététique est également une discipline où le doute possède une place majeure puisqu’il est le point de départ des réflexions.

Cependant, ce genre de doute est encadré, rigoureux, méthodique. Il ne s’agit pas d’un doute pour le simple exercice plaisant de douter. Il s’agit d’un doute qui sert de véritable outil premier à l’esprit critique. Le doute est une sorte de filtre permettant alors d’éprouver la solidité et la fiabilité des informations que l’on rencontre tout autant que cela doit permettre d’éprouver la validité de ce que l’on veut tester. Le tout en laissant de côté les préjugés.

Toutefois, le doute exprimé chez le théoricien du complot est différent. Il ne s’agit pas d’une méthode d’expérimentation rigoureuse. C’est bien plus une affaire de confirmation par le doute de nos propres croyances.

Il existera toujours quelque chose qui dérangera dans une théorie. Une coïncidence qui troublera ou un point amenant du doute. Il reste alors à déterminer la valeur de l’objet de notre doute.

Là où un sceptique méthodique n’y verra qu’une simple coïncidence, habitué à l’aléatoire ou encore n’y verra-t-il qu’un effet contextuel, le tenant du complot y verra une raison de douter confirmant ainsi sa méfiance et renforçant sa croyance en un complot ou un fait qu’on nous cache.

Ainsi, lorsque l’on s’intéresse à la théorie du complot du Titanic, le problème saute rapidement aux yeux.

Titan vs Titanic
Quand une réflexion ne cherche que la confirmation de sa propre croyance, cela peut donner des choses du genre. Il s’en dégage une impression que « cela est tout de même dérangeant » et que « c’est vraisemblable ». Pourtant, est-ce réellement le cas ? La chose a déjà été démonté en long en large et en travers, notamment par le cercle zététique.

Les croyants vont ainsi parler de prémonition voir également d’écriture médiumnique de Robertson dont nous aurions ici une preuve au travers de son livre Le naufrage du Titan, écrit 14 ans avant le drame du Titanic. Les scientifiques nous cachant ce phénomène pour des raisons diverses.

En vérité, il s’avère que la réalité est tout autre. Les croyants ne sont en fait que dans une démarche de confirmation de leurs convictions. Ils plaquent leurs théories sur les faits lorsqu’il faut en réalité établir une théorie en partant des faits.

Ainsi une simple remise en contexte, doublée d’une prise en compte de l’intégralité des faits remet totalement en cause la version para-psychologique. Le tout propose une version bien plus crédible et explicative sans mettre en cause quelques événements paranormaux.

Cet exemple permet de saisir tout le problème dans la démarche principale des tconspirationnistes. Car si la valeur et le rapport à la preuve diffère de base, il en est de même dans l’attitude sceptique des tenants pour ce qui relève du doute. C’est ce « doute » déformé qui ne devient rien d’autre qu’une recherche de confirmation de raisons de douter.

C’est le premier point qui ouvre la porte à la stratégie complotiste.

La stratégie du complot

La stratégie du complot peut-être abordée sous l’angle de 4 points différents :

  1. – Le millefeuille argumentatif.
  2. – L’effet de Fort.
  3. – L’effet de dévoilement.
  4. – L’effet de vide et l’appel à l’Histoire, l’ancienneté.

On peut facilement comprendre cette stratégie en analysant chaque point individuellement. La compréhension du phénomène complotiste s’en trouve simplifiée. Faisons simple et illustré dans le cas présent.

Le millefeuille argumentatif

Aux yeux du grand public, la technique du millefeuille argumentatif passe pour un véritable argumentaire. Beaucoup d’éléments sont apportés d’un coup tandis que rien n’est véritablement sourcé. L’effet produit une sensation de grande compétence de l’intervenant qui semble avoir réalisé un long travail de recherche.

« C’est une technique rhétorique qui vise à intimider celui qui y est confronté : il s’agit de le submerger par une série d’arguments empruntés à des champs très diversifiés de la connaissance, pour remplacer la qualité de l’argumentation par la quantité des (fausses) preuves. « 

— Rédaction gouvernementale, « On te manipule », gouvernement.fr. 

Il s’agit de bombarder une personne d’éléments divers et variés, impossibles à vérifier en l’état par une seule personne. Les éléments demandent les compétences de plus d’une personne pour s’y intéresser correctement et les vérifier. Le but est de submerger les individus d’un grand nombre d’informations et de données. Devant le caractère invérifiable des informations, l’ensemble va favoriser l’acceptation de certains point ou tout du moins un questionnement et une remise en cause.

Devant le manque de temps et de compétences pour dénoncer chaque argument, on va se contenter au mieux de les considérer comme neutre. Cette méthode permet de donner une impression de thèse sérieuse et consistante.

Commentaire antisémite suite à mes questions - 19 août 2017 - Notions d'Histoire
Une exemple que je repartage vu qu’il m’est arrivé directement et qu’il m’était adressé. Ici on remarque l’effet millefeuille avec un empilement rapide de plusieurs points à vérifier. Bien sûr, il n’y a aucune preuve ni réelle démonstration et on trouve même un subtil effet de vide avec l’idée que cette organisation « existe forcément ». Un classique toujours aussi savoureux.

On a alors l’impression que « Tout ne peut pas être faux. » C’est justement là que réside la clef de cette technique. Il s’agit ainsi d’instaurer le doute. Doublée d’un effet de Fort, cette méthode est redoutable et prépare l’idée d’un complot à l’oeuvre.

L’effet de Fort

Tiré de Charles Fort, l’effet « Fort » donne « une impression de trouble lorsqu’on est confronté, sans préparation, à ce type de croyance » selon Gérald Bronner. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Ce sont des réflexions qui empruntent à de nombreuses disciplines pour supporter leur propre théorie. Bien que les références soient peu sérieuses et ne démontrent rien, elles permettent de donner une impression de vraisemblance doublée d’une vaste culture.

« […]de nombreux ouvrages au xxe siècle, dont certains ont rencontré un immense succès, peuvent être qualifiés de « fortéens » en ce qu’ils mobilisent des arguments puisant tout à la fois dans l’archéologie, la physique quantique, la sociologie, l’anthropologie, l’histoire, etc. La référence à ces disciplines sont plus que désinvoltes dans la plupart des cas, mais permet de constituer un argumentaire qui paraît vraisemblable au profane, impressionné par une telle culture universelle et pas plus compétent que motivé pour partir en quête des informations savantes qui lui permettraient de le révoquer point par point. »

— Gerald Bronner, La démocratie des crédules.

En réalité, la vérification des éléments permet facilement de s’en prémunir au travers d’une simple réfutation. Mais l’effet persuasif sera le plus puissant et le moins coûteux en énergie pour préparer la théorie du complot. Le mille-feuille argumentatif aidant en cas de besoin par un empilement en plus de l’utilisation de références aux sciences.

L’effet de dévoilement

Un classique bien connu de ceux qui lisent des livres de policiers. L’effet est également présent dans le principe des intrigues narratives. Nous côtoyons cet effet au quotidien, quasiment à chaque moment : en réunion, à la lecture d’un mail, en visionnant une pub, etc.

L’effet de dévoilement est une technique de séduction où l’on donne l’impression d’accéder à une cohérence qui jusqu’ici faisait défaut.

Là où chaque élément peinait à « faire du sens », la théorie du complot va pouvoir fournir à l’ensemble une cohérence plus que bienvenue de manière progressive ou subite. C’est l’élément-clef des théories du complot. Le tournant qui amène à l’adhésion ou au rejet de la théorie. L’adhésion étant bien sûr favorisée par cet effet.

Les bonus : cultiver l’effet de vide et l’appel à l’Histoire

Deux phénomènes sont également très fréquents dans les théories du complot. Premièrement, il s’agit de cultiver l’effet du vide. Il est question d’utiliser tout vide argumentatif comme étant un argument à part entière. L’argument le plus classique est le suivant :  » Nous n’avons pas de preuves qu’un complot est à l’oeuvre. L’absence de preuve n’est-elle pas justement la preuve qu’un complot est à l’oeuvre ? « 

Effet de vide et complotisme - Notions d'Histoire
face à l’effet de vide, quand on continue d’interroger il s’avère que l’on peut se heurter à des réflexions d’une intelligence certaine. Souligner l’absence d’arguments et de preuves ne fait bien souvent que vous faire passer pour un agent ennemi. Une parade classique pour tenter d’éviter un éventement  du vide.

Le second argument repose sur un appel à l’Histoire. De quoi s’agit-il ? De l’idée qu’il existe historiquement des complots, des mensonges. En conséquence, on ne peut écarter les théories du complot aussi simplement. L’argument reste néanmoins erroné car ce qui distingue les complots des théories exposées sont les preuves amenées comme nous avons pu le voir dans la première partie de cette série d’articles.

Par ailleurs, ce n’est pas parce que quelque chose est déjà arrivé qu’il va forcément se reproduire. De plus, il convient de comparer ce qui est comparable car une conjuration de l’antiquité qui va regrouper de manière locale une dizaine de personnes n’a rien à voir avec un complot du style des illuminati qui se trouve impliquer des milliers d’individus au niveau planétaire.

Le tout présente deux manières de contrer les critiques tout en donnant de la consistance à la thèse défendue.

Qu’en retenir ?

Doublées d’un effet othello – une narration qui augmente la crédibilité d’une conclusion improbable à l’aide de scénarios – les théories du complot sont à la fois extrêmement séduisantes et très difficiles à critiquer efficacement.

Bien que ces théories ne démontrent rien et que leur coût réflexif avoisine la supposition gratuite, leurs effets sont suffisamment importants pour qu’on s’interroge sur la manière de lutter contre.

C’est d’ailleurs une question qui divise énormément. Avant même de savoir comment on doit lutter, certains estiment qu’il conviendrait de déterminer s’il est nécessaire de lutter contre ces théories. Pourquoi ne pas les laisser aller ? Après tout, il semble qu’elles ne fassent pas grand mal et qu’elles soient aisément contrables. Au contraire même, il arrive que certains estiment qu’en parlant de ces théories on leur procure une visibilité et que nous leur rendons donc un service en parlant de ces dernières.

Si c’était aussi simple, on ne se focaliserait pas autant dessus et des structures comme Youtube n’entamerait pas des réflexions sur ces points. En vérité, comme nous venons de le voir les théories du complot suivent une stratégie qui leur permet de séduire le public. Les différentes méthodes rhétoriques permettent à la fois d’attirer mais également de convertir. En conséquence de quoi, même si on ne parle pas de ces théories, elles sont tout à fait capable de se pérenniser et de se diffuser toutes seules.

Prendre l’option de les laisser dans leur coin aboutit justement à la situation que nous connaissons avec des théories toutes plus fumeuses les unes que les autres. Mais là où cela devient particulièrement dangereux c’est que ces théories viennent polluer le marché cognitif. Les réflexions s’en ressentent alors cruellement puisque les théories du complot ont pour objectif principal de rendre certains coupables. Au détriment d’une réflexion correcte, on se retrouve donc à accuser le responsable de son choix ce qui n’est pas vraiment souhaitable et constitue un véritable problème. En plus de cela, cela introduit une défiance envers la communauté scientifique, les corps d’états, la médecine et bien d’autres.

Dans de telles conditions, on en vient à se demander comment on pourrait procéder à une déconstruction de ces théories, comment on pourrait lutter. Ce que nous verrons finalement au travers de pistes de réflexions dans un dernier article. Tout en apprenant à distinguer et hiérarchiser les différentes théories entre-elles. A moins que ce ne soit une tentative d’ingénieur sociale pour empêcher la vérité d’éclater. Qui sait ?

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